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les cours, si l’on est étudiant et plus tard votre métier, les quelques visites qu’on est astreint de faire, les quelques affaires indispensables dont il faut pourtant s’occuper, vos amis, vos élèves, si vous êtes professeur, l’heure que vous vous accordez pour vous promener, pour aller voir une exposition ou un musée, dévorent votre journée presque entière. Elle est au reste coupée, fragmentée, en mille petits morceaux par mille occupations diverses. Où retrouver l’équivalent de ces quatre ou cinq heures de travail paisible et recueilli que l’on peut chaque soir fournir devant sa table de 8 heures à minuit ou 1 heure ? Mais M. P. semble avoir moins en vue la vie surmenée des grandes villes que l’existence calme et paisible que peut s’arranger en un coin de province un homme qui, sans être assujetti à aucun métier absorbant, se plaît aux hautes besognes intellectuelles. C’est surtout du reste aux jeunes gens qu’il s’adresse, à ceux qui ont encore dans leurs journées des heures de loisir, et c’est eux qu’il exhorte à agir, à vivre d’une vie active, occupée et joyeuse, à dormir de longues nuitées. « Pour les jeunes gens assez maîtres d’eux-mêmes pour régler leur vie de la bonne façon, la vie vaut la peine d’être vécue », s’écrie-t-il (p. 183). Malheureusement, il ne dépend pas toujours de nous de la régler comme il nous plaît.

Mais s’il est utile de se bien porter pour être capable de vouloir fortement, cela à coup sûr ne suffit point. Le grand moyen pour se rendre maître de soi, c’est, d’après M. P., d’apprendre à méditer. Le but de la « réflexion méditative », c’est de provoquer dans l’âme des mouvements de haine ou d’amour. Il faut faire en quelque sorte le silence en nous, nous dérober parfois à l’assaut tumultueux des impressions du dehors, et choisir parmi les idées et les sentiments qui traversent notre conscience ceux que nous voulons conserver. Le but à atteindre, c’est de nous rendre capable d’un travail soutenu et persévérant : nous ne conserverons de nos états de conscience que ceux qui peuvent nous aider à nous en approcher. Voici en quels termes M. P. résume ce travail de triage et de sélection : « 1° Lorsqu’un sentiment favorable passe en la conscience, l’empêcher de la traverser rapidement, fixer sur lui l’attention, l’obliger à aller éveiller les idées et les sentiments qu’il peut éveiller ; en d’autres termes l’obliger à proliférer, à donner tout ce qu’il peut donner. 2° Lorsqu’un sentiment nous manque, refuse de s’éveiller, examiner avec quelle idée ou quel groupe d’idées il peut avoir quelques liens ; fixer l’attention sur ces idées, les maintenir fortement en la conscience et attendre que par le jeu naturel de l’association le sentiment s’éveille. 3° Lorsqu’un sentiment défavorable à notre œuvre fait irruption en la conscience, refuser de lui accorder l’attention, tâcher de n’y point penser et en quelque sorte le faire périr d’inanition. 4° Lorsqu’un sentiment défavorable a grandi et s’impose à l’attention sans que nous puissions la lui refuser, faire porter un travail de critique malveillante sur toutes les idées dont ce sentiment dépend et sur l’objet même du sentiment (p. 97). » L’essentiel, c’est de ne point nous fuir nous-même,