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monte de l’humanité souffrante ! Comment vivre sans mensonge et sans illusion ? » M. Zola concédait ensuite qu’en littérature l’école naturaliste avait trop « fermé l’horizon ». « J’ai personnellement regretté, ajoutait-il, d’avoir été un sectaire, en voulant que l’art s’en tînt aux vérités prouvées. » M. Zola n’eût-il pu convenir que, dans la philosophie également, le positivisme avait trop fermé l’horizon ? Et peut-on admettre la définition prétendue positive que M. Zola donne de l’idéal, lorsqu’il dit — « L’idéal, qu’est-ce autre chose que l’inexpliqué, ces forces du vaste monde dans lesquelles nous baignons sans les connaître ? » — Non, l’idéal ne saurait signifier l’inconnu : il est la direction connaissable, au moins en partie, de la réalité même arrivant chez l’homme à la conscience de soi. M. Zola terminait en conseillant d’oublier le « tourment de l’infini » ; à ceux qui « souffrent du mystère », il conseillait d’occuper leur existence « de quelque labeur énorme », dont il serait bon même qu’ils ne vissent pas le bout. Mais, ainsi présenté comme un « devoir » quotidien, sans aucun principe qui justifie ce devoir, le travail n’est au fond qu’un moyen de s’étourdir, un moyen de « divertissement », comme disait Pascal, plus hygiénique peut-être (en général) que le jeu et les plaisirs, mais dont le vrai sens moral échappe, faute d’une doctrine philosophique qui marque la place de l’individu dans la société humaine et dans la société universelle.

Intervenant en cette discussion, M. Alexandre Dumas ne craignit pas de prédire que les hommes, après avoir tout expérimenté, finiraient, « et cela bientôt », par appliquer sérieusement à la vie la loi de l’amour du prochain, et seraient même envahis « par la folie, la rage de l’amour ». Il affirma voir déjà, parmi les phénomènes qui nous paraissent si menaçants, les indices de ces tendances d’amour qui naissent chez les hommes. Tolstoï, penchant vers un optimisme analogue, déclara à son tour que, « plus les hommes croiront qu’ils peuvent être amenés par quelque force extérieure, agissant d’elle-même en dehors de leur volonté, au changement et à l’amélioration de leur existence, et plus difficilement cette amélioration se produira ». C’était là, aux yeux de Tolstoï, le principal défaut du discours de M. Zola. « Au contraire, plus ils croiront à ce que prédit Dumas, que le temps viendra infailliblement et prochainement où les hommes, animés de l’amour du prochain, modifieront de leur propre volonté toute leur existence, et plus vite ce temps arrivera. » Confiant dans la force des idées, Tolstoï concluait que, « en annonçant la modification des sentiments humains, on la rend plus prochaine ».

Tout récemment, la question de la science et de la croyance reparaissait sous une forme plus aiguë. M. Brunetière montrait, avec son