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liberté véritable, non dans la licence de tout faire, mais dans la volonté de faire le bien. Ils disent avec saint Paul, et c’est leur axiome fondamental, que c’est la justice et la vérité seules qui nous font libres : Veritas liberabit vos. La conception de la liberté qu’on leur attribue ils la répudient de toutes leurs forces ; et celle qu’ils admettent c’est précisément celle que leurs adversaires chrétiens leur opposent comme la seule légitime.

Mais alors on est d’accord ? — Non : la liberté telle que la conçoit et la veut l’homme de tous les temps, mais surtout l’homme moderne, ne consiste pas seulement dans la parfaite obéissance à une loi, si cette loi n’est pas rationnelle ; et si elle est rationnelle, il faut encore qu’elle exprime notre raison à nous, non une raison extérieure et étrangère, celle-ci fût-elle supérieure à la nôtre. En un mot l’homme veut être autonome, dans son intelligence et dans sa volonté. Or, tant que Dieu est conçu comme un maître absolu qui commande l’ordre dans les sociétés, la vérité dans les esprits, la justice dans les cœurs, il est évident qu’il n’y a pas pour l’homme d’autonomie possible. Et comme c’est cette conception de Dieu qui est présentée toujours, de sorte que ceux qui la rejettent, comme ceux qui l’acceptent, en viennent à ne pas même soupçonner qu’il en puisse exister une autre, ce n’est pas une notion surannée de la Divinité qu’on repousse, c’est Dieu lui-même dont on proscrit jusqu’au nom. Et, plus nous allons, plus les choses prendront cette tournure. La formule révolutionnaire Ni Dieu ni maître cause encore chez beaucoup d’hommes une sorte d’effroi, d’abord parce qu’elle froisse brutalement ce qui reste en eux d’habitudes religieuses, ensuite, à cause des menaces qu’elle contient à l’égard de l’ordre social. Au fond on peut dire que l’humanité, et surtout l’humanité la plus civilisée, a dans les moelles la pensée qu’elle exprime. Point de maître, parce qu’un être raisonnable et libre ne peut obéir qu’à la raison, et point de Dieu parce que point de maître.

Mais, si l’hétéronomie du vouloir humain est une conséquence fatale de la doctrine du Dieu personnage, elle-même à son tour implique cette doctrine. Du moment donc où l’on sort de la doctrine, on échappe sûrement au danger de l’hétéronomie, et par suite on ne peut manquer de retrouver l’autonomie de la personne humaine. Il est par conséquent certain, avant tout examen, que la conception du Dieu Esprit implique l’autonomie de la raison et de la conscience humaine. C’est ce dont il reste à nous rendre compte.

De même qu’on s’est trompé sur le genre de liberté dont l’humanité poursuit la conquête depuis les origines de l’histoire, souvent aussi l’on a mal compris de quelle nature est l’autonomie qu’elle reven-