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même, l’être authentique qui se cachait. Ce fut dès lors celui que je prétendis découvrir : l’être authentique ; le « vieil homme » celui dont ne voulait plus l’Évangile ; celui que tout, autour de moi, livres, maîtres, parents, et que moi-même avions tâché de supprimer…[1]. »

Tel est aussi le romancier norwégien Johan Bojer avec son étrange roman : la Puissance du Mensonge où est admirablement analysé le travail d’imagination selon lequel les personnages plient les faits à leurs sentiments et font le mal en s’assurant la paix d’une bonne conscience.

De telles analyses psychologiques pourraient servir d’illustration à la belle étude de M. Georges Dumas sur les Conditions biologiques du remords[2]. On y voit comment une piqûre de caféine suffit à changer le ton de la conscience morale d’un individu et à abolir en lui scrupule et remords. Il est permis de se poser avec l’auteur une question qui ne l’intéresse d’ailleurs qu’au point de vue psycho-physiologique et qu’il ne prétend pas résoudre au point de vue éthique. « L’état de dépression et de fatigue est favorable à l’éclosion des remords… Alors tous les préjugés sociaux déferlent sur l’âme en détresse pour la submerger ; elle les tourne et retourne pour y chercher sa pâture… Le remords est donc le signe que les préjugés sociaux, ou, si l’on préfère, nos habitudes morales, l’ont emporté sur nos instincts, et cette victoire se produisant surtout pendant les périodes de dépression, on pourrait, semble-t-il, arriver à cette conclusion que la vie saine est naturellement immorale, tandis que la maladie, la faiblesse et la moralité s’associent naturellement[3]. »

Les vues qui viennent d’être exposées suffisent pour nous faire voir en quoi consiste l’immoralisme de la première espèce. Cet immoralisme, à travers toutes les nuances qu’il comporte chez les différents penseurs, consiste à constater la fragilité, la caducité, l’inefficacité psychologique et sociale de nos morales ; leur action très limitée sinon même tout à fait nulle sur la conduite et sur la vie.

Il semble bien d’ailleurs que dans la pensée des immoralistes

  1. A. Gide, L’Immoraliste, p. 82.
  2. Revue philosophique, octobre 1906.
  3. Id., p. 357