Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/8

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le requérant, il sembla qu’il estoit necessaire d’envoyer un Procureur en Europe. A quoi aiant esté denommé par l’authorité des Supérieurs, j’ay entièrement creu que je devois derechef lire les Commentaires manuscripts du P. Matthieu Ricci, & les traduire en Latin. Premierement parce que j’ay bien recognu qu’un autre, qui n’auroit aucune cognoissance des affaires, ou lieux de ce pais, ne les pourroit jamais bien disposer. En apres parce qu’il falloit (comme j’ay dict) remplir des places vuides en plusieurs endroicts, adjouster diverses choses, & en augmenter plusieurs, que ce bon personnage, à cause de sa modestie, avoit ou laissees, ou legerement touchées, Par quoi encor que les navigations soient très-longues, le travail assez grand de soi mesme, ayant en apres le Ciel & la mer plus favorable, j’ay commencé d’escrire une chose digne d’un plus grand loisir, sans avoir esgard au bruit des hommes de marine. Et sans doute j’eusse plustost veu la fin du livre, que du voyage, si j’eusse toujours esté par mer prenant le chemin ordinaire. Mais pour des justes considerations j’ay passé des Indes au destroist de Perse par mer, & en apres prenant mon chemin par terre ayant traversé la Perse, l’Arabie deserte, & une partie de la Turquie, je suis arrivé au Cayre ; delà passant par la mer Mediterranée je suis abordé en Cypre, Crète Iacynthe (Zante) & finalement sous la conduite du bon Dieu à Otranto. C’est pour quoi il a fallu cesser d’escrire jusqu’à ce qu’estant arrivé à Rome, je desrobois quelques nuicts aux affaires. Et encor que depuis j’ay eu plusieurs empeschemens, & qu’il me soit resté fort peu de temps à cause de la maladie, en laquelle estois nagueres tombé, je n’ay neantmoins faist aucune difficulté de me laisser emporter aux prières de mes amis, ou à la volonté des superieurs, Car ce n’est pas mon intention (ami Lecteur) de vous donner plus de contentement par l’elegance du discours que par la verité.

Or vous ne devez nullement douter de ceste verité, au moins autant qu’il a esté possible à l’homme de la comprendre : car le P. Matthieu estoit trop vertueux, pour vouloir tromper, & avoit trop d’experience pour sembler pouvoir estre trompé. Et quant à moy je vous puis asseurer que ce que j'y ay adjousté,m’est entierement cognu, ou par le tesmoignage de mes propres yeux, ou par le rapport fidelle des autres Peres qui l’ont veu, ou enfin approuvé par l’authorité de nos Annales. Car je suis non seulement entré dans ce mesme Roiaume, mais encor j'ay veu six des plus nobles Provinces d’icelui, & esté en toutes nos residences, & j'ay, come je pense eu cognoissance des affaires de toute ceste mission. Or Lecteur, j'ay pensé que vous deviez estre au long adverty de tout ceci, afin que la diversité des escrits qui ont esté jusqu'à present mis en lumiere touchant le Roiaume de la Chine, ne vous trouble par opinions contraires.

Car je trouve deux sortes d’autheurs qui ont jusqu’à present escrit des affaires de la Chine. Les uns sont ceux qui ont inventé plusieurs choses d’eux mesme, ou les ayans ouy dire, les ont publiées sans aucune consideration. Et mesmes je n’excepte pas du nombre de ceux là les Peres de nostre Compagnie, lesquels se confians en la foy des marchands Chinois, ne prenaient pas garde ou qu’ils augmentoient ce qui les touchoit particulièrement (comme c’est la coustume) ou faisoient rapport de ce qui ne leur estoit pas assez