Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/510

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gèrent un peu l’oppression de son âme, rappelèrent ses esprits : mais quelle agitation, quels cris de douleur succédèrent à son accablement ! « Exilé, ruiné, perdu, répétoit-elle ! lui, le marquis de Clémengis » !

Paroissant tout-à-coup se calmer, elle essuya ses pleurs, prit les mains d’Henriette, et la considérant un moment, baissant les yeux, les relevant sur elle, poussant de profonds soupirs, elle sembloit hésiter à lui découvrir sa pensée.

« Je vous afflige, lui dit-elle ; hélas ! je vais peut-être vous révolter ; mais au nom de notre amitié, ne vous opposez point à mes desseins : j’ai un projet, ne le combattez par aucune raison, par aucun discours. Ô ma chère Henriette ! je n’abandonnerai point M. de Clémengis ; il est exilé, son mariage est rompu, sa fortune détruite, il va perdre le reste de ses espérances ! il est affligé, malheureux ! je veux partir, aller le trouver, ma vue sera peut-être un adoucissement à ses peines ; si je ne puis le consoler, je partagerai ses maux ; je veux gémir, souffrir, mourir avec lui ! Ne me dites rien, non, ne me dites rien ; ne me parlez ni du monde, ni de ses cruelles bienséances ; je les rejette si la dureté les accompagne : est-il des lois plus saintes que celles de l’amitié ? des devoirs plus sacrés que ceux de la reconnoissance ? À qui dois-je des égards ? je ne tiens à personne ; si ma démarche est une faute, j’en rougirai seule. Je veux dénaturer tout ce que je possède, je veux rendre en secret à M. de Clémengis tous les biens que j’ai reçus de lui ; ah ! pourrois-je en jouir à présent ! heureuse aux yeux des autres, ingrate aux miens, comment supporterois-je la vie » ?