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faut ôter à presque tous les Acadiens toute espérance de refuge sur les terres françoises la plupart n’étant pas à portée de l’isle Saint-Jean dont d’ailleurs les terres ne sont pas trop attirantes.

Par cet abandon on mettra les Acadiens au désespoir, les Anglois n’auront plus nulle raison de les ménager, ils y détruiront à leur aise la religion et n’y souffriront plus de missionnaires enfin ils empêcheront la communication de l’Acadie avec Louisbourg dont la subsistance dépendra absolument d’eux.

Toutes ces vues se manifestent déjà clairement tant dans la lettre de M. Shirley que par les procédures faites à Annapolis Royale, par leurs projets de bâtir à Chibouctou, à Beaubassin et aux Mines, par les levées qu’ils font en Europe pour peupler, disent-ils, leur Nouvelle-Écosse, enfin par toute leur conduite.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’ils ont formés ces ambitieux projets ; j’ai desja cité une grande carte que j’ay vue et à laquelle ils ont donné pour titre : l’empire anglois dans l’Amérique avec les conquêtes sur les Espagnols et sur les François.

Ils y étendent leur Nouvelle-Écosse jusqu’au fleuve Saint-Laurent dont le bord du Sud leur appartiendra presque jusqu’à Québec si on s’en rapportoit à cette carte.

Elle n’est pas aujourd’huy leur seul titre et ils font beaucoup de fond sur celle qui se trouve dans l’histoire du Canada du Révérend Père Charlevoix, dans laquelle on a copié par inadvertance une partie de cette carte angloise. Je ne dois pas dissimuler un titre beaucoup plus apparent mais que je connois que par les citations de leurs lettres, c’est une concession faite par Louis Treize dans laquelle on a joint à l’Acadie, toutes les côtes depuis la Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire depuis Kinikiki jusqu’à Gaspey, mais il est manifeste que les plénipotentiaires d’Utrecht n’ont eu nulle connoissance de cette pièce, car ils n’auroient pas déclaré aussi positivement qu’ils ont fait que le golfe Saint-Laurent nous appartenait en entier. Cette pièce obscure n’a pas pu donner au continent le nom d’Acadie connu de tout le monde pour une presqu’île et l’Acadie suivant ses anciennes limites est la presqu’île bornée par son isthme.

Après ces préliminaires et pendant la longue paix qui a suivi le traité d’Utrecht ils ont essayé d’établir de fait leur domination qui n’étoit qu’idéale. Ils ont escroqué de quelques sauvages par pression ou par menaces des reconnoissances contraires à la fidélité qu’ils doivent au Roy ; ils en ont fait autant des habitants de la rivière Saint-Jean qui étoient demi-sauvages eux-mêmes et ne connoissant d’autres françois que ceux de la presqu’île de l’Acadie cédée par le traité d’Utrecht ont cru devoir suivre leur sort. Je ne sçais s’ils n’ont pas obtenu aussi les mêmes soumissions des habitants de Chipoudy, Peskoudiac et Memeramcouc ou du moins de quelques-uns d’eux. Ces pauvres habitants sont presque tous sortis de familles acadiennes, ils ont été presque entièrement abandonnés du Canada et de la France depuis la paix d’Utrecht et les Anglois leur ont fait entendre qu’ayant obéis ci-devant au gouverneur françois de Port Royal, ils devoient la même obéissance au gouverneur anglois. Tous ces habi-