Page:Richardson - Histoire du chevalier Grundisson, Tome 4, 1763.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
Histoire

On doute quelquefois sans cause, Madame.

Expliquez-vous mieux, ma chere.

N’êtes-vous pas fâchée, Madame ?

Je ne le suis point. Mais pourquoi me croire jalouse ?

Vous n’avez aucune raison de l’être, en vérité. Mon Tuteur vous adore. Tout le monde convient que vous méritez d’être adorée. Mais pourquoi trouver mauvais qu’un Enfant, tel que moi, regarde quelquefois son Tuteur avec des yeux de reconnoissance ? Les vôtres, ces yeux charmans, sont toujours si prêts à surprendre les miens ! Si je me connois moi-même, je ne suis qu’une jeune innocente. J’aime mon Tuteur, je n’en disconviens pas. Je l’ai toujours aimé, vous le savez bien, Madame ; & si vous me permettez de le dire, long-temps avant qu’il ait su qu’il y eût au monde une Dame aussi charmante que vous.

J’ai quitté mon ouvrage ; & la serrant entre mes bras ; ne cessez pas de l’aimer, chere Émilie ! Vous ne sauriez l’aimer autant qu’il mérite de l’être. Vous me verrez toujours approuver une affection si pure. Mais de la jalousie, ma chere ! vous m’attribuez de la jalousie ! C’est une chimere de votre imagination. Ma seule crainte, c’est que les mouvemens du cœur se devinant par les yeux, sur tout dans les jeunes personnes, qui sont encore remplies d’innocence, vous ne donniez sujet à ceux, qui savent aussi bien que moi, que votre affection pour votre Tuteur est un respect filial, de l’attribuer à la naissance d’une autre espece de sentimens, qui dans votre cœur néanmoins, s’ils venoient à s’y fortifier, produiroient une flamme aussi pure, qu’il s’en soit jamais allumé dans un cœur virginal.

Ô Madame, quelles expressions vous employez ! Elles me pénétrent le cœur. Je ne puis vous expliquer ce qui s’y passe : mais, de jour en jour, mon respect augmente pour mon Tuteur. Mon respect… Oui, c’est le vrai terme. Je vous remercie de me l’avoir dicté. Un respect filial, je ne