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la chanson des gueux

Partout, je me heurtais à des murs de ténèbres ;
Et mes yeux, embrumés de visions funèbres,
Comtemplaient fixement dans le brouillard trompeur
Le troupeau monstrueux des choses qui font peur.

Où suis-je ? Vais-je donc marcher la nuit entière ?
Où suis-je ?… Allons toujours… Horreur ! un cimetière !
Est-ce un rêve ? Mes yeux voient-ils ce qu’ils croient voir ?
Quelle est cette lueur qui déchire le noir ?
Non ! ce n’est pas un feu follet. C’est un feu rouge.
Palpitant, animé, comme un haillon qui bouge,
Tantôt droit, tantôt courbe, il se tord dans le vent.

La terreur de la nuit me poussait en avant.
C’était trop noir derrière. Approchons de la haie !

Ainsi sur un cadavre un trou saignant de plaie,
Sur une tombe en pierre ainsi ce feu luisait.
Une grande ombre était devant, qui l’attisait.
Elle se retourna, m’ayant senti, surprise.
C’était un long vieillard, front chauve, barbe grise,
Le corps maigre dans un manteau dépenaillé,
La tournure rigide ainsi qu’un empaillé.
Point terrible, malgré sa face de carême !
Car le nez souriait dans la figure blême,
Et mettait sur ce blanc un beau ton violet.
On eût dit un meuron oublié dans du lait.
Mais l’affreux cauchemar est quelquefois grotesque.
Donc j’avais beau le voir comique, en rire presque,
Je n’étais pas encor d’aplomb. D’ailleurs le vieux