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MES PARADIS

Et ceux-ci, les brutaux, les forts, aux pourpres trognes,
Bras velus, poings pesants et poitrail large, ivrognes
De domination, de gloire et de fureur,
Vêtus d’or et debout sur un char d’empereur
Dont les quatre chevaux les roulant jusqu’au sacre
S’appellent Deuil, Ruine, Incendie et Massacre ;
Et revivent aussi les semeurs de bienfaits,
Inventeurs, grâce à qui s’allège un peu le faix
Des lourds labeurs où nous condamne la nature,
Sages, prophétisant la concorde future,
Artistes, faisant luire à la flamme du beau
Dans la nuit du réel un idéal flambeau,
Poètes, dont les chants aux sonores mensonges
Se déploient en décors de splendeurs et de songes
Pour nous cacher l’abîme autour de nous béant
Que creuse à tous nos pas l’universel néant ;
Et revivent encor dans cette foule immense
Ceux qui furent avant que l’histoire commence,
Au temps où n’existait pas même une cité,
Le pays que je suis n’étant lors habité
Que par des larves dont on a perdu mémoire,
Depuis ceux dont le nom est devenu grimoire
En des livres sacrés que nul ne comprend plus,
Jusqu’à ceux qu’on voit fondre en remontant le flux
Des légendes vers leurs sources les plus brumales,
Et même jusqu’à ceux des races animales