Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/24

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Et vainement m’épuise en étreintes funèbres
Sur des fantômes faits de vide et de ténèbres ;
Comme toi, que je vais, d’un pas aussi perclus,
Vers une foi, dans un siècle qui n’en a plus ;
Comme toi, même objet d’une juste risée,
Que j’arrose la fleur après l’avoir brisée ;
Comme toi, que l’espoir d’être heureux me reprend
Et que je viens dans l’ombre écouter en pleurant
Si du ciel quelque sourd roucoulement retombe
Au colombier désert dont j’ai fait une tombe.
Ah ! les divins, les chers, les blancs oiseaux, tous morts !
Mon frère, souviens-toi ! Sans pitié, sans remords,
Les traitant de menteurs, et, la mémoire brève,
Oubliant que jadis y chanta notre rêve,
Nous les avons tués, jeté leur plume au vent.
Morts ! Tous morts ! Et le rêve en nous toujours vivant
N’a plus de voix, et geint dans l’horreur ridicule
D’être le sourd-muet qui grogne et gesticule.
Que dit-il, que veut-il, l’affreux déshérité ?
À qui demande-t-il, de quoi, la charité,
Avec sa main tendue et sa bouche écumante ?
Est-ce un regret, est-ce un désir, qui le tourmente ?
Ce qu’il grogne et ce qu’il gesticule, pourtant
C’est quelque chose ; car on le voit, on l’entend ;
On voit des pleurs rouler, lourds, sur sa face pâle ;
On entend des sanglots dans sa gorge qui râle ;