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Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/347

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LES ÎLES D’OR

Au crin déchirant !
Boire tout au fond du calice,
Après les noirs vitriols du supplice,
Ce vin sucré, léger, clair, mousseux, enivrant,
De la convalescence, où l’on rapprend
La douceur d’être un petit sans malice,
Qui se laisse bercer, au reste indifférent,
Âme lisse
Sur qui tout glisse
Sauf la sensation d’être là, respirant !
Première nuit qu’on dort ! Premier repas qu’on prend !
Par delà le rideau d’ombre qui se déplisse,
Revoir le ciel, le trouver grand,
Se dire qu’on va vivre encore en l’admirant !

Hélas ! il n’est point de tels baumes
Aux coups reçus en plein cœur,
Pour ceux-là qui n’ont pas ce divin remorqueur,
La foi, nef déployant les ailes d’or des psaumes
Qu’enfle l’espoir vainqueur
De retrouver les morts aux célestes royaumes
Et d’en faire avec eux, tous, retentir les dômes
Sans qu’il manque une voix au chœur.
Or, pour moi, vous gisez tout entiers, vains atomes,
Chers morts dont j’ai tenu les paumes dans mes paumes,
Et je ne crois qu’en mon souvenir évoqueur