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LES ÎLES D’OR

Et le coup de canon du tonnerre éclatant
Ne font qu’un bruit perdu que personne n’entend ?
« Frères, frères, par grâce, un instant de silence !
« Si quelqu’un sait, qu’il puisse être écouté ! » Je lance
De toute ma vigueur au plus fort du fracas
Cet inutile appel dont pas un ne fait cas,
Car chacun est en train de clamer pour son compte
Et nul ne s’intéresse à ce qu’autrui raconte.
… Par gestes ! Je dirai par gestes. Essayons !
Mais au fond de quels yeux les nicher, ces rayons
Qui s’envolent, parleurs, de mes mains magnétiques ?
Tellement vite, à des galops si frénétiques,
Courent ces flots ! Si bref est le vague moment
Où je peux contempler ces fuyards fixement !
À peine mes doigts prompts ont jeté par l’espace
Leur geste à l’un qui vient, c’est un autre qui passe ;
Et je n’ai pas le temps d’échanger deux regards
Avec ces apparus disparaissant hagards.
Oh ! l’horrible soupçon qui soudain me pénètre !
Pendant que d’eux je cherche à me faire connaître,
Qui sait à mon endroit s’ils n’en font pas autant,
Et si ces gestes fous et ces bras qu’on me tend,
Tordus, passionnés, tragiques et rapides,
N’accusent pas aussi mes yeux d’être stupides ?
Ils ont l’air de vouloir me parler, oui, je vois,
Et désespérément leurs mains ont une voix.