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LES ÎLES D’OR

C’est que je sais quels mots font de vous des damnés ;
C’est qu’en dépit de vous qui vous y cramponnez,
Ces mots, pour en jeter à bas les deux colonnes,
Je me sens aux poumons des souffles de cyclones ;
C’est que je crois possible enfin le paradis
Quand vous écouterez, frères, ce que je dis,
Quand vous n’y tiendrez plus, à ces deux mots si vides,
Justice, Égalité, qui font vos fronts livides,
Vos doigts crochus, vos cœurs aigris, vos fronts hagards,
Qui mettent des couteaux d’envie en vos regards,
Et des crapauds d’envie à vos lèvres exsangues,
Et tous les noirs cancers de l’envie à vos langues,
Quand vous aurez craché ces mots de déraison,
Quand vous aurez vomi leur fiel et leur poison,
Quand vous aurez élu pour verbe un autre verbe
Où le riche et le gueux, où l’humble et le superbe
Soient en communion dans l’inégalité,
Tous, et sans que le fort en soit débilité,
Sans que rien non plus manque aux désirs du débile,
En sorte que chacun se trouve exempt de bile,
Jamais le bien de l’un n’étant à l’autre un mal ;
Et ce verbe heureux, pur, fort, suave, aromal,
Ce verbe de soleil déchirant tous les voiles,
Ce verbe à cinq rayons ainsi que les étoiles,
Ce verbe dernier-né dont j’annonce le jour,
Ce fut le premier-né des verbes, c’est l’Amour !