Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 16 —

Le lendemain, c’était le premier jour de l’an chinois, grande fête pour tout le monde ; on me fit passer dans une chambre haute et je fis comme tout le monde échange de politesses. La nuit on ne me mit pas aux ceps, peut-être n’était-ce là qu’une infraction que les satellites s’étaient permise ; car deux jours après, l’ordre vint de me mettre de nouveau aux entraves. Les deux satellites qui me gardaient, étaient sans doute de mes amis ; j’en entendis un en effet qui disait : « Est-il possible qu’on le mette aux entraves ! C’est un homme honnête, juste, comme on n’en trouve pas en Corée, c’est un vrai Fô qui est venu de nouveau sur la terre. » Le lendemain, les satellites en parlèrent beaucoup entre eux, on envoya même au grand juge pour lui faire des observations : « C’est pitié, lui dit-on, de mettre cet homme-là aux entraves. » Le juge répondit : « Je pense comme vous, je le prends moi aussi en pitié ; mais l’ordre est donné, je ne puis le révoquer. » Sur ces entrefaites, voilà que je suis pris d’un gros rhume, la nuit en effet je souffrais du froid ; on courut de nouveau chez le juge qui dit : « Oh ! c’est grave, s’il est malade, ne le mettez plus aux ceps ; je m’en charge, soignez-le bien. » Puis il m’envoie un grand paravent pour m’abriter ; on me donna aussi deux tasses de tisane. J’étais vraiment touché de toutes ces prévenances et je ne savais qu’en penser. Le chef des satellites me donna même 12 sapèques, à peu près 3 sous, pour acheter un peu de bois, afin de chauffer la chambre ; quand je voulus les donner, les satellites s’y refusèrent et payèrent eux-mêmes le chauffage. L’un me donna 5 sapèques pour acheter du tabac ; un autre, un petit peigne, dont j’avais grand besoin. Déjà j’étais devenu l’ami de tous, ils ne tarissaient pas lorsque entre eux ils faisaient mon éloge : « Comme il est doux, simple, poli, affable, juste ! » Et les anciens disaient : « Mais ils sont tous ainsi, l’évêque Berneux, Daveluy et les autres Pères, que nous avons vus, étaient tous ainsi ; ces Européens sont vraiment vertueux, ce n’est pas comme nous, Coréens ; au lieu de le mettre à mort, on ferait bien mieux de le renvoyer dans son pays ; ce sont plutôt ces coquins qui vont les chercher qu’il faudrait tous tuer ; sans eux certainement ils ne pourraient pas entrer dans le pays. »

Le 5 février, il se fit un grand bruit dans le prétoire ; on ne voulut pas me laisser voir, ni me dire ce dont il s’agissait. Je compris bientôt que c’étaient des prisonniers qu’on amenait ; j’entendis même des soupirs, c’étaient comme des voix d’enfants qui gémissaient. La pensée que ce pouvait bien être des chrétiens me vint naturellement, et le lendemain je n’eus plus de doute