Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 32 —

tout, et nos livres chrétiens que vous avez pu voir en donnent beaucoup. — Qu’est-ce qu’a de bon cette doctrine ? — Elle apprend à aimer Dieu par-dessus tout, et tous les hommes comme soi-même ; elle apprend à faire le bien, à éviter le mal, à régler ses mœurs, à supporter patiemment les maux de cette vie, avec l’espérance d’un bonheur éternel après la mort. — Quand tu mourras, où iras-tu ? — Chaque homme après sa mort va devant Dieu et subit un jugement sur le bien ou le mal qu’il a fait pendant la vie ; les bons vont au ciel, les méchants vont en enfer. — Mais toi, où iras-tu ? — Personne ne peut répondre de soi. — Mais enfin, que penses-tu, où espères-tu aller ? — J’espère, avec la miséricorde de Dieu, obtenir le ciel. — Ne crains-tu pas de mourir ? — Tout homme craint la mort. — Mais actuellement, si l’on te mettait à mort, n’aurais-tu pas peur ? — Je n’ai peur que d’une chose, c’est du péché ; si actuellement, ici, vous me mettez à mort pour la cause de Dieu, je n’ai nullement peur. — Et alors, où iras-tu ? — Au ciel, en présence de Dieu. — Combien de temps ? — Toute l’éternité. — Mais les corps vont en terre ? — Oui, les corps vont en terre où ils pourrissent ; mais l’âme ne meurt pas, et de plus, un jour les corps ressusciteront tous, et iront, unis à l’âme, dans le lieu où celle-ci était avant la Résurrection, et cela pour toujours. » Pendant cette dernière réponse, le juge fit une grimace et eut un sourire de pitié. « C’est assez, dit-il avec mépris, qu’on l’emmène. » Je m’étais éloigné de quelques pas, lorsqu’on me rappelle ; le juge ordonne de retrousser les manches de mon habit jusqu’au coude, et les deux juges, examinant mes bras, se mettent à sourire entre eux ; je pense qu’ils désiraient simplement voir la couleur de mes bras, ou peut-être voir si j’avais une grande force. Enfin on m’emmène, on me délie en enlevant la corde rouge, et on me conduit au corps de garde, où les satellites viennent m’entourer. Les deux juges restèrent en délibération jusque bien avant dans la nuit ; leurs suivants qui les attendaient encombraient toutes les chambres ; impossible de trouver un endroit pour se reposer, et cependant je me sentais pris de sommeil. Je pus enfin allonger un peu les pieds dans l’endroit où j’étais ; et, malgré le bruit, les cris, je m’endormis profondément, la tête appuyée le long de la muraille.

Quel devait être le résultat de la délibération ? Il était difficile de le prévoir. J’étais étonné de l’interrogatoire qu’on venait de me faire subir ; avec tout l’appareil extérieur qu’on avait déployé, je m’étais attendu à quelque chose de plus sévère ; je craignais