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mon anneau que je tenais caché bien enveloppé dans un petit sac ; ce jour-là, je dis aux chrétiens que j’allais leur donner une bénédiction solennelle et spéciale pour eux et pour tous les chrétiens de Corée. Ce fut une bonne nouvelle, mais il fallait choisir le moment, car il y avait avec nous un bonze et une vieille païenne ; le bonze nous gênait peu, il dormait toujours ; la vieille païenne eut la bonne idée de sortir un instant, c’était le moment favorable : les chrétiens se mettent à genoux et religieusement recueillis, reçoivent la bénédiction. Quel bonheur ! c’était notre cérémonie de Pâques ; tous étaient joyeux, et le reste de la journée sc passa avec plus de ferveur, preuve que les cérémonies religieuses aident la piété, car une bénédiction d’évêque, dans une prison de Corée, n’est-ce pas une grande cérémonie qui donne un nouveau courage pour supporter les peines, les privations inhérentes à la position ?

Nos souffrances ? Nous en avions de bien des sortes, dans le dénuement et la pauvreté où nous nous trouvions. Ainsi il nous fallait porter toujours les mêmes habits qui étaient sales, usés, déchirés, puants, et la vermine nous dévorait. On tuait les poux par centaines ; les puces peut-être plus nombreuses, n’étaient pas si faciles à prendre ; jamais je n’en avais vu de cette espèce ; elles sont trois fois grosses comme celles d’Europe, avec une force de jarret prodigieuse, sans parler de la carcasse qu’on avait peine à écraser. On disait que c’étaient des puces de rats ; or les rats foisonnaient ; on les voyait le jour, on les entendait la nuit, ils se promenaient, couraient, sautaient comme chez eux, car on a bien soin de les entretenir ; un respect superstitieux empêche de les détruire, ils trouvent à habiter partout et notre paille infecte pourrie, déjà si bien habitée leur procurait un asile parfaitement sûr. Nous n’avions ni couteau, ni canif. Essayez de vous passer, pendant quarante jours seulement, de ces instruments tranchants si communs en Europe et si utiles toujours. Pendant longtemps nous n’eûmes pas d’aiguille, enfin nous pûmes nous en procurer une et, pour avoir du fil, on en tira comme l’on pût de quelques chiffons de soie, restes des habits de cette pauvre chrétienne morte en prison.

Craignant de perdre les jours de la semaine et de ne plus savoir où placer le dimanche, j’écrivis sur la planche de la muraille, au moyen d’un morceau de charbon, les dimanches à mesure qu’ils se présentaient ; avec cette précaution nous n’avions qu’à compter 7 jours pour trouver le dimanche suivant. Une fois nous avons failli nous tromper pour les dimanches du