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interrogatoire m’avait surpris. Je soupçonnais pourtant qu’on avait reçu quelque dépêche du dehors ; d’où pouvait-elle venir ? dans quel but ? Inutile de chercher à pénétrer ce mystère, qu’on décide ce qu’on voudra, je suis prêt à tout ; comme la Providence décidera, je marcherai. Je pus raconter à mon bon vieux Jean ce qui venait de se passer ; il ne fut pas peu surpris. Un des chefs satellites vint de la part du juge me demander encore de nouvelles explications ; il questionna même le vieux Jean qui ne put donner aucune explication et perdit son temps à expliquer que bien qu’on pût connaître le nom européen d’un personnage, il ne s’en suivait pas qu’on sût son nom chinois, etc., etc. Les juges partirent, l’un se rendit au palais royal, et l’autre chez le grand maître. Puis à la prison tout rentra dans le calme.

Il y avait, depuis quelques jours, en prison un prétorien de la ville de Y-y, en la province de T-l. Dès son arrivée, ayant appris qu’il y avait un Européen en prison, il vint me voir, il parlait un peu sans trop se gêner. Il me dit qu’il avait souvent entendu parler de la religion qu’il connaissait, et qu’un grand nombre de ses amis s’étaient retirés des affaires pour la pratiquer ; il ajoutait que tous étaient de braves et honnêtes gens à qui on ne pouvait rien reprocher. « Et vous, pourquoi ne la pratiquez-vous pas ? — Moi, répondit-il, j’ai tenu à ma position, je n’ai pas voulu quitter ma fortune, je continue à suivre les usages de notre pays, mais, ajouta-t-il, j’estime et j’aime les chrétiens. — En a-t-on arrêté beaucoup dans votre province ? — Non, dit-il, on n’en a pas arrêté un seul, on ne les cherche même pas, du reste à quoi bon arrêter des gens qui ne font de mal à personne ? Savez-vous si on a arrêté des Pères ? — On les a cherchés beaucoup, mais il a été impossible de les trouver et je sais que, jusqu’à ce moment, pas un seul n’a été arrêté. » Ces nouvelles, qui me paraissaient certaines, me firent bien plaisir. Il est rare de trouver des gens qui vous parlent sans crainte avec une telle franchise. Il raconta son histoire au vieux Jean, il était en prison pour dettes et n’avait pas une sapèque pour payer. « Je sais bien que je vais mourir, dit-il, mais on ne meurt qu’une fois. » Hélas ! oui, on ne meurt qu’une fois, mais sa pauvre âme ! Que j’eusse voulu le convertir, mais le temps allait me manquer.

Le 3 juin, il vint selon son habitude dans notre cachot et dit au vieux : « On dit partout dans la prison qu’on va le renvoyer dans son pays, parce que son gouvernement l’a réclamé. » Nous étions tellement habitués à de tels bruits que nous n’en crûmes