Page:Rimbaud - Œuvres, Mercure de France.djvu/294

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comme le soleil ; de tes yeux courait un sillon bleuâtre jusqu’au milieu de ta joue, comme à Santa Teresa ! ton nez, plein de l’odeur des haricots, soulevait ses narines délicates ; un duvet léger, serpentant sur tes lèvres, ne contribuait pas peu à donner une belle énergie à ton visage ; et, à ton menton, brillait un beau signe brun où frissonnaient de beaux poils follets : tes cheveux étaient sagement retenus à ton occiput par des épingles ; mais une courte mèche s’en échappait… Je cherchai vainement tes seins ; tu n’en as pas : tu dédaignes ces ornements mondains : ton cœur est tes seins !… Quand tu te retournas pour frapper de ton pied large ton chat doré, je vis tes omoplates saillant et soulevant ta robe, et je fus percé d’amour, devant le tortillement gracieux des deux arcs prononcés de tes reins !…

Dès ce moment, je t’adorai : j’adorais, non pas tes cheveux, non pas tes omoplates, non pas ton tortillement inférieurement postérieur : ce que j’aime en une femme, en une vierge, c’est la modestie sainte ; ce qui me fait bondir d’amour, c’est la pudeur et la piété ; c’est ce que j’adorai en toi, jeune bergère !…

Je tâchais de lui faire voir ma passion ; et, du reste, mon cœur, mon cœur me trahissait ! Je ne répondais que par des paroles entrecoupées à ses interrogations ; plusieurs fois, je lui dis Madame, au lieu de Mademoiselle, dans mon trouble ! Peu à peu, aux accents magiques de sa voix, je me sentais succomber ; enfin je résolus de m’abandonner, de lâcher tout ; et, à je ne sais plus quelle question qu’elle m’adressa, je me renversai en arrière sur ma chaise, je mis une main sur mon cœur, de l’autre, je saisis dans ma poche un chapelet dont je laissai passer la croix blanche, et, un œil vers Thimothine, l’autre au ciel, je répondis