Page:Rivaudeau - La doctrine d’Epictète stoïcien.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
— 68 —


morale des Stoïques, de Guillaume Du Vair. Deux raisons peuvent nous expliquer ce fait. D’une part, et nous l’avons vu ailleurs, Sénèque avait déjà fourni ample matière à ces développements à la fois littéraires et moraux; il barrait le chemin à Épictète ; de l’autre, Épictète ne pouvait guère rivaliser avec lui, car Épictète, même l’Épictète des Entretiens, gardait toujours dans ses développements les plus nourris, un je ne sais quoi d’austère, de doctrinal, de philosophique, que savait si bien dépouiller Sénèque lorsqu’il écrivait à Lucilius, sur des riens, des faits quotidiens et journaliers, ses admirables réflexions morales. Les lettres de Sénèque sont des états d’âme, des analyses de sentiments moraux, d’une délicatesse inouïe, c’est vrai; mais elles ont aussi l’imprévu, l’émotion d’un journal intime. Sénèque est un sage sans doute, mais aussi un homme du siècle, il connaît la vie, il connaît le monde et ses pièges, comme dirait le christianisme ; il sait donc en parler, tout en apprenant à ses disciples à se tenir sur leurs gardes. Épictète, lui, est un sage arrivé, un ascète que plus rien n’émeut; entre le monde et lui, il n’y a aucun lien, il ne s’en préoccupe plus. Il va directement aux âmes, en leur proposant l’Idéal que sa raison conçoit et que sa volonté vit tous les jours. Il faut aimer la nourriture forte et substantielle pour goûter Épictète, et partant se soucier fort peu de belle littérature. Était-ce bien là l’esprit des humanistes du XVIe siècle ? Nous ne le croyons pas. De plus, pour qui réfléchissait à fond, l’Idéal moral apparaissait à travers ce petit Manuel si clair, si lumineux, que des Commentaires n’y pouvaient rien ajouter. Les Préfaces qui se répandaient alors, celle de Politien surtout, si souvent rééditée, avaient clairement montré tout ce que pouvaient avoir de force ces phrases courtes, nettes, sans lien apparent et pourtant si lumineuses de sens si l’on se donnait la peine de recourir aux principes qui en formaient comme la substance. À quoi bon, dès lors, ajouter des Commentaires qui n’eussent été que de purs développements littéraires, ou peut-être des Commentaires religieux ? Une traduction latine[1] avait en effet donné cette forme aux Commentaires

  1. Cf. plus haut, page 48.