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Page:Rivière - Fragment d’album inédit de Desbordes-Valmore, 1910.pdf/11

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aux marcheurs, c’est toujours en rasant les maisons que l’on se promène ou que l’on circule dans les rues. Le milieu appartient aux voitures, dont l’élégance est remarquable. Beaucoup ont quatre chevaux, ornés de rubans, d’armoiries et de riches harnais. Les dames y sont comme dans les loges, très posées, très en vue et vêtues avec beaucoup de goût. Elles tirent surtout un parti admirable de leurs cheveux généralement beaux, qui tombent des tempes jusque sur leur poitrine en longs anneaux, qu’elles ont l’art de rendre solides malgré l’air et l’extrême chaleur auxquels ils sont livrés. J’en ai vu beaucoup de charmantes… Leurs regards sont dédaigneux et froids durant la promenade, leur démarche droite, aisée et digne.

La population semble partagée en deux espèces, tout à fait distinctes : l’une saine, élancée, complète ; l’autre, avortée, misérable, rampante. Sur les portes, dans les promenades, dans les églises, partout des nains difformes, affligés de goîtres et de membres imparfaits qu’ils appuient sur des béquilles. C’est un spectacle fort triste pour ceux que l’habitude n’y rend pas insensibles. Peu de familles pauvres sont exemptes de ce fléau ; une superstition pieuse s’y attache par bonheur et fait soigner ces infortunés comme une sorte de génie familier et bienveillant, qui prend cette figure humble pour garder la maison de tout mal.

Notre padrone, qui prend du plaisir à nous conduire dans sa calèche partout où il espère nous voir admirer sia cara citta, assigne une cause triste à cette triste différence, c’est la misère, hideuse et pâle aussi sous le soleil dont elle parvient à corrompre les doux rayons. D’abord et à tous, par le rite en usage au baptême, on plonge au fond du bénitier la tête du nouveau né qui s’y fait chrétien et qui demeure imprégné d’eau durant toute la longueur de la cérémonie. L’enfant riche s’en tire avec d’autres bonnets de dentelles, avec les ablutions moins saisissantes de vin tiède et parfumé, qui remet le sang et le cerveau en ordre. Mais le petit chrétien pauvre demeure sous son humide et unique bonnet peut-être, et comme il pousse des cris, on le garrotte comme on fait encore à Orléans, qui offre une triste ressemblance avec cette ville dans les résultats de ces habitudes auxquelles la mère la plus éclairée par son instinct n’oserait se soustraire de peur d’un soulèvement autour d’elle et dans sa propre famille. — Il dit aussi que