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Page:Rivière - Fragment d’album inédit de Desbordes-Valmore, 1910.pdf/16

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chevaux pouvaient avoir glissé, rompu leurs guides, perdu leurs fers, et elle être blessée… Les palpitations au cœur, qui m’ont laissé quelque repos depuis trois semaines, s’étaient réveillées, et je t’avoue que je me suis jetée hors de mon lit avec un grand soupir de bénédiction à Dieu. Mes chers enfants couraient de joie et s’habillaient à la hâte pour aller voir si c’était bien vrai. Une demi-heure après, nous l’avons embrassée dans sa beauté « qu’on venait d’arracher au sommeil », charmante, émue de son beau voyage, le redisant avec cette action et ce prestige que tu sais qu’elle a quand elle développe un sentiment dont elle est fortement pénétrée. Elle a été surprise et presque irritée quand j’ai répondu à ses félicitations de mes prochains voyages en Italie, que je n’en étais que triste. Elle est longue à comprendre que l’on peut avoir des yeux pour admirer et un cœur pour souffrir.

Le soir, elle était elle-même oublieuse de toutes ses contemplations, et rendue à son caractère que je n’avais jamais compris tel que je viens de le comprendre. C’est une enfant irritable et désarmée aussitôt, incapable de feindre ; ses sourires, ses colères, tout est spontané, tout est vrai comme le génie qui la possède au théâtre.

Trois prêtres chantant et brûlant le jour par trois cierges allumés. Un prêtre ouvrant la marche avec un crucifix d’or. Un homme portant sur son épaule une petite boîte vernissée, de couleur verte et d’une forme moins étouffante que celle adoptée en France pour le cercueil, tel était le convoi d’un pauvre enfant du peuple que nous suivîmes dans la rue ou il Borgo di Porta Romana. Il passait au milieu d’un peuple serré, chantant, criant, courant dans la poussière et le soleil, et la foule, qui s’ouvrait pour laisser passer le prêtre, ne se retournait plus sur le pauvre petit cercueil.

Le lendemain, à la même place, passait une longue file de prêtres et de flambeaux luttant avec une triste impuissance contre les rayons du soleil dans sa force. Des femmes, des hommes, des enfants, tous portant leurs cierges funèbres, inondaient la voie et chantaient. Au milieu de ce cortège et au fond d’un voile blanc dont huit petites pleureuses tenaient les bords flottait un léger cercueil recouvert de damas blanc brodé d’argent et couvert de fleurs et de couronnes admirablement belles. Les jeunes filles qui portaient ce fardeau