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bruit. Cinquante cierges allumés éclairèrent la rue fort obscure ce soir-là, et parmi les prêtres, silencieux comme le cortège nombreux de femmes, d’hommes et d’enfants, qui suivaient tous avec leur lumière portée sous le bras et penchée en avant, apparut un cercueil recouvert de drap noir, surchargé de franges et d’ornements d’or. Nous le suivimes longtemps des yeux, comme un rêve qui nous tient dans la stupeur, et nous rentrâmes, le cœur serré d’un spectacle si simple et si terrible. Le lendemain, pendait à l’église le cadre des trépassés.

A l’anima di… Eterna pace ! Inevitabile fata.

Je ne saurais me faire au son des cloches, qui déchirent l’air comme la voix des femmes en Italie. Elles semblent en fureur quand elles causent, et passent avec une si incroyable facilité des notes aigües au contralto le plus mordant qu’il est impossible de croire que ce soit là cette langue la plus renommée pour son charme et sa noblesse. Il faut donc la lire et l’entendre chanter, mais parler, c’est à fuir. Est-ce par cette raison que la voix douce et pure, la diction limpide et les intonations sensibles de Mlle Mars, son rire perlé, ses larmes pénétrantes ont produit ici un étonnement et une sensation impossibles à décrire ? Chacune de ses paroles les saisissait de joie. On l’a couverte de fleurs, on lui a crié : Divina ! Divina ! Angel ! Angel ! Angel ! Angel ! Sur un des cinquante bouquets tombés à ses pieds était écrit au crayon : Quando ride, bisogna ridere ; quando piange, bisogna piangere ; insomma alla e la padronna di tutti i cuori ! Et de crier : E vero ! E verissimo ! Elle était émue, mais nous l’étions plus qu’elle. C’était un beau dédommagement des petites tracasseries semées sous ces triomphes si purs. Figure-toi qu’on veut la forcer à jouer dans un théâtre consacré d’ordinaire aux singes et chiens savants. J’ai eu la curiosité de l’aller voir hier, et j’ai reculé.

Inscriptions du cloître de San Ambrosio, sur des fragments de marbre blanc incrusté dans les vieux murs où quelques fresques des premiers temps de la peinture n’ont pu survivre aux ans et à l’humidité.

Cratini[1] avalio          Ceptache   fieretro
Sabino
Cratinio me                  Priscae

  1. Corpus inscriptionum latin arum. Berolini, 1847, tome V, pars posterior,
    p. 364, no  6000.