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que son âge, malgré sa parure élégante et son bonnet de jasmins, l’inexplicable Marie-Louise, dont le cœur demeure impénétré, dont la physionomie impassible ne trahit pas une émotion. J’étais émue, moi, en passant forcément si près d’elle dans le corridor étroit où sa loge touchait la nôtre, que sa robe m’effleura, quand je cherchai, je l’avoue, et pour la première fois de ma vie, à voir en face une personne qui cherchait à se cacher dans une loge humble et sans lumière. Mais le prince de Metternich, et surtout sa livrée blanc et or, l’avait trahie. Mlle Mars, à qui je courus apprendre que le bras qu’elle touchait était celui de Marie-Louise, fit tout ce qu’il était possible de faire d’effort, sans manquer aux convenances, pour faire retourner un peu cette femme immobile. Elle n’en vint pas à bout. Quand je la vis se lever pour sortir, je me trouva comme malgré moi sur son passage, entre ses deux [……] qui veillaient à la porte de sa loge. Elle se courbait en marchant comme pour chercher les marches de l’escalier à peine éclairé qu’elle allait descendre. Sa robe blanche, très légère et très ample, m’effleura. Sa figure me parut très longue et très colorée, mais douce et calme. Il me passa quelque chose devant les yeux dans ce moment, qui me saisit. Je vis l’Empereur mort et le Roi de Rome, également comme une ombre, qui la suivaient dans ce froid corridor, et il me fut difficile de rester jusqu’à la fin de Jane de Naples, dont elle n’avait pu supporter peut-être le terrible dénouement. J’étouffai pourtant les battements redoublés [de mon cœur] pour connaître entièrement Mlle Marchioni[1].

6 septembre. Toutes les voix maigres des cloches de Milan déchirent en ce moment l’air chargé de pluie. Les coups sans écho du canon se succèdent, et nul retentissement ne les prolonge. Je cherche à m’expliquer cette espèce de brisure sèche que les sons les plus graves produisent ici dans l’atmosphère comme si tous les bruits passaient dans le sable, et je ne peux me l’expliquer. Ici, la rêverie est comme inconnue, et, en effet, l’Italien dans l’absence de la passion triste, colérique ou amoureuse, l’Italien dort. Jamais sa voix ne murmure dans le souvenir. La romance, qui nous inonde le cœur de larmes, les fait bâiller.

Cataneo, musicien fort distingué et maître à la Scala, com-

  1. Correspondance intime, I, pp. 203-204.