Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
LES MENDIANTS DE PARIS

Auprès du lit défait, les débris du déjeuner sont encore sur la table : un gobelet d’étain, des croûtes de pain, des coquilles de noix roulent sur la place autour d’un pot d’eau.

M. Friquet a pourtant en sa puissance du bon vin, des mets succulents, un mobilier splendide ; mais tout cela repose encore à l’état de filon du sein de la mine, c’est-à-dire dans le tas de billets de banque fourré sous des haillons, au fond du coffre moisi.

Sur la tablé à manger, qui sert en même temps de bureau, sont placés L’Almanach des adresses, manuel du mendiant à domicile, une carte de Paris, grand nombre de certificats jaunis et froissés, portant chacun des noms et des professions divers. Il y a de plus, en ce moment, un dessin que M. Friquet vient de charbonner de sa propre main avec un bout de bois brûlé ; il représente une tête d’enfant, à la chevelure imitée d’une plante de chicorée, à la bouche ronde, aux yeux ronds, deux fois plus grands que la bouche. Au bas est écrit : Henri de France.

Un vieux mendiant de la rue, arrivé jusqu’à la fenêtre de cette pièce basse, par une allée sombre, dépourvue de portier, colle son visage contre la vitre dégarnie de rideaux. La brume répandue dans la cour, la respiration qui trouble la vitre, montrent la tête du pauvre vieux dans une sphère de vapeur grise ; la complainte lamentable de la mendicité parvient en sons affaiblis à l’intérieur.

Mais au moment où nous le voyons, M. Friquet n’a le temps de rien entendre. Il s’habille pour aller mendier à domicile chez le comte de Rocheboise, sur lequel il a pris des notes à la cérémonie de Saint-Sulpice.

Debout devant la glace brisée, il se compose une mine allongée et piteuse, fermant à demi ses yeux, qui doivent paraître blessés de l’éclat du jour, battant de la paupière comme pour retenir une larme, et tâchant de détendre jusqu’au dernier cran les muscles de son visage. Pendant l’opération, il se retourne seulement parfois pour dire à la figure du mendiant appliquée à la vitre :

— Je n’ai pas le temps… Donnez-moi la paix !

Lorsqu’il est grimé à sa guise, maître Friquet met une perruque rousse, lustrée au front par la pression du chapeau, aplatie sur les joues en enfant de chœur ; il passe un habit râpé jusqu’à extinction, boutonné sur la poitrine de manière à prouver l’absence du gilet, mais s’entr’ouvrant à l’entournure du bras décousue, afin de montrer à