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LES MENDIANTS DE PARIS

le lard doré, le cruchon de vin, et, pour servir tout cela, la petite ménagère, dont la bonne grâce, la gaieté, la chanson étaient le meilleur du festin.

À cette époque, Pierre appelait Marie sa sœur. Et la jeune fille, en recevant chaque soir le baiser d’adieu du vieil Augeville et de son fils, baissait la tête devant Pierre, de manière que les lèvres du jeune homme rencontrassent les larges bandeaux de ses cheveux bruns.

Un seul chagrin troubla un instant ces habitudes de bonheur.

L’arbre que le père Augeville avait planté à l’endroit le plus élevé du jardin, le jour de la naissance de son fils, venait de mourir, après vingt-deux ans de superbe végétation. Au printemps, de faibles rejetons sortant de la superficie du tronc, où coulait encore un peu de sève, avaient donné quelques espérances : mais maintenant ces tiges, flétries avant de s’épanouir, étaient tombées de l’arbre.

Un jour, Pierre (qui comptait alors vingt-deux ans, comme l’indique l’âge que nous avons mentionné pour son arbre), arrivant vers le tertre où s’élevait encore le coudrier desséché, par un sentier dont l’herbe assoupissait le bruit des pas, vit Marie qui avait passé ses deux bras autour du tronc de l’arbre, le serrait contre son sein et pleurait.

Il la regarda avec émotion et l’interrogea vivement sur la cause de ses larmes.

— Ah ! Pierre, dit-elle, peux-tu le demander !… Ce coudrier, c’était ton arbre ; il avait pris racine le jour de ta naissance, il avait grandi avec toi, il portait ton nom… Il me semblait que je l’aimais comme moi-même… Il me semblait qu’il m’aimait, lui aussi, et me protégeait comme toi.

— Tu croyais cela ?

— Un jour de l’été passé, que j’avais été surprise ici par l’orage, au lieu de m’éloigner des grands arbres, comme on me l’avait recommandé, je vins en courant me réfugier sous son abri… la foudre tomba à la cime et cette grande branche… si sèche maintenant… entraîna le feu du ciel loin de moi et le fit courir dans le bassin.

— Nous fûmes bien effrayés du danger que tu avais couru.

— Oh ! oui !… mais moi, j’étais bien sûre qu’il me garantirait, cet arbre qui était un autre toi-même.

— Marie… ne pleure pas… je te reste, moi.