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Le Vingtième Siècle.

L’arrivée d’un train du Tube de Bretagne avait rapidement mis au complet une douzaine des aéronefs stationnées au-dessus de la gare et fait s’envoler, avec un plein chargement, tout un essaim de légers aérocabs, de véloces, de chaloupes, d’éclairs et de tartanes de charge pour les bagages, ces lourdes gabares ailées qui font à peine leurs trente kilomètres à l’heure.

L’aéronef B portait son contingent complet de voyageurs, une vingtaine dans l’intérieur, autant sur la dunette — l’ancienne impériale des véhicules terriens de jadis — et quatre sur la plate-forme d’arrière. — Ses proportions lui eussent permis d’enlever à travers l’espace une plus grande quantité de kilos vivants, mais les compagnies, talonnées en cela par la concurrence, tenaient à laisser toutes leurs aises aux voyageurs. Quel que fût le nombre des passagers, dès que le chiffre de 2,500 kilos était atteint et marqué par l’aiguille du compteur, le mot complet, en grosses lettres d’un mètre de hauteur, apparaissait sur les deux flancs de la nacelle-omnibus et le contrôleur de la station ne laissait plus monter personne.

Les passagers de l’aéronef B étaient en grande partie des commerçants parisiens, revenant avec leurs familles de leurs villas de Saint-Malo ou d’une petite partie de campagne dans les roches bretonnes ; cela se voyait aux paniers vides ayant contenu des provisions, aux boîtes d’herborisation et aux filets à crevettes des enfants. Quelques marins en congé et des volontaires d’un mois causaient bruyamment sur la dunette des fatigues du métier, ou lisaient les journaux mis libéralement par la compagnie à la disposition des voyageurs.

Assises sur les pliants de la plate-forme d’arrière, trois jeunes filles portant l’uniforme des lycéennes formaient un groupe gracieux. Le béret à jugulaire, autrement élégant que l’antique képi des lycées masculins, couronnait de jolies têtes aux traits fins et d’abondantes chevelures tombant en boucles sur les épaules ; deux de ces jeunes filles étaient brunes, la troisième possédait, sous le béret coquettement incliné, la plus admirable de ces toisons blondes qu’affectionnèrent de tout temps les peintres et dont les poètes ont toujours raffolé, depuis le vieil Homère et la volage épouse de Ménélas. Ses longues tresses d’un blond vibrant, trop abondantes pour être laissées en liberté, étaient réunies par un ruban bleu et formaient ainsi une sorte de catogan qui se balançait sur la vareuse bleue de la lycéenne, à chaque souffle de l’air.

Les deux lycéennes brunes étaient les filles du banquier milliardaire