Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelée à devenir la langue européenne et à remplacer avant peu toutes les autres langues. C’est très simple, écoutez cette phrase — la phrase traditionnelle de toutes les grammaires — par laquelle débute la grammaire du salade-langage :

La grammar e l’arte of sprichablar y scribir correctement.
Le député et son surveillant.
Le député et son surveillant.

Vous voyez que cela peut être compris presque partout. Les auteurs ont trouvé un excellent système de conjugaisons : ich bin, tu es, he is, siamo, este, sono ! On a pris dans chaque langue les termes les plus simples et les plus faciles à retenir, en éliminant les mots difficiles ou mal bâtis. C’est une sorte de concours entre toutes les langues ; quand le terme anglais pour désigner une chose quelconque est meilleur que le même terme dans les autres langues, on choisit le mot anglais… quelquefois on a fondu deux mots ensemble, un radical français avec une terminaison anglaise.

— Pourvu que cela n’aboutisse pas à une sorte de patois nègre, dit M. Ponto en riant, et que bientôt l’on ne dise pas couramment des phrases comme celle-ci : Volete permitt offrir mio corazon and ma main ? Go chez maire !

— Mais cela n’est déjà pas si petit nègre ! C’est assez joli comme son et cela, de plus, a le grand avantage de pouvoir être compris dans trois ou quatre pays. Les professeurs de salade-langage ont précisément voulu prouver par des exemples que la nouvelle langue prêtait fort à la poésie et sonnait merveilleusement aux oreilles. Ils ont traduit quelques fragments de nos chefs-d’œuvre en salade-langage :

It was pendant l’horror d’una noche negra
Ma madré Jézabel to my ey’s se montra, etc., etc.

Vous voyez que c’est euphonique et très harmonieux ! Avant vingt ans, il n’y aura plus que les habitants des campagnes reculées qui s’obstineront encore à parler les langues actuelles…

— Et les savants ! dit Ponto.

— Parbleu ! les savants apprendront le français comme ils apprennent le latin, le grec, l’hébreu, le cingalais ou le tartare mandchou. Un jour viendra où tout le monde parlant le salade-langage, on ouvrira une chaire de français au Collège de France ! »