Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/173

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quand on la regarde dans un certain sens, un buste de la République, la salle des séances du grand conseil municipal de Paris, avec les portraits de ses 880 membres, une section de vote de la plaine Saint-Denis en photographie instantanée, et les portraits des membres du comité de surveillance, gracieusement réunis en groupe.

Le dîner offert à la famille Ponto fut des plus brillants. Le député avait obtenu l’autorisation de faire un extra, sur le rapport du surveillant qui l’avait accompagné à l’hôtel Ponto.

« Nous n’aimons pas beaucoup que nos députés fréquentent les gens de la haute finance, dit le surveillant, mais Mme Ponto avait de l’excellent parfait amour, allez-y ! »

Naturellement les deux surveillants de service chez le député assistèrent au repas. — Hélène, l’héroïne de la soirée, avait été placée à la droite de Rouquayrol, mais, au moment de se mettre à table, le député fut obligé de reculer d’une place pour donner sa chaise à un membre du comité.

Le dîner envoyé par la Grande Compagnie était exquis. Ce qui surprit Hélène, malgré les explications fournies la veille par son tuteur sur le fonctionnement des comités de surveillance, ce fut de voir son voisin refuser le potage et repousser les verres à madère, à bordeaux et à champagne placés devant lui. Quand il eut ainsi fait place nette, le surveillant tira de la poche droite de sa redingote un saucisson enveloppé de papier et un petit pain et de la poche gauche un litre de vin entamé.

« Voilà ! fit le surveillant après avoir étalé ses provisions, les principes sont d’accord avec la politesse ; je suis à table, mais je ne mange pas la cuisine de mon député !

— Vous avez tort, dit Rouquayrol ; pour un dîner cle cérémonie, vous pouviez vous départir de votre rigidité.

— Jamais ! répondit le surveillant, les principes sont les principes ! ma conscience n’est pas en caoutchouc, je ne jongle pas avec mes devoirs, moi !

— C’est beau, cela ! dit M. Ponto.

— C’est grand ! fit Mme Ponto.

— Je n’accepterai que le café et les liqueurs, dit le.surveillant ; ma conscience ne me permet pas davantage. »

Et, pendant tout le temps du dîner, il mangea fièrement des ronds de saucisson, sans perdre un instant de l’œil son député et en suivant toutes ses paroles d’une oreille attentive, tout prêt à intervenir s’il le fallait pour