Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/339

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Les dilettanti, les gens à goûts artistiques, dédaignant les fusils trop modernes qui se chargent par la culasse, trop vite et presque comme des mécaniques, descendaient dans la rue armés de vieux mousquets à pierre et harnachés de gibernes pittoresques. Le plaisir est certainement bien moindre à faire rouler un fusil à répétition, qu’à charger en quinze mouvements un de ces vénérables mousquets à silex, à faire sonner la baguette dans le canon, musique délicieuse et émouvante, et à faire grincer les ressorts du chien.

Quant aux collectionneurs, aux amateurs de bibelots et de belles armes, ils se seraient bien gardés de perdre une si belle occasion d’endosser de brillantes ferblanteries de reîtres, de se coiffer de casques, de bourguignottes, de salades et de se barder de dagues féroces et de pistolets d’arçon monumentaux.

En se rendant en aérocab au tube méditerranéen, Hélène aperçut même dans un quartier habité par des artistes photo-peintres un bataillon de patriotes brandissant avec coquetterie des hallebardes du plus pur moyen âge.

La gare des tubes du sud était encombrée d’insurgés et surtout d’insurgées ; des députations de tous les clubs féminins attendaient les volontaires marseillaises avec des drapeaux, des couronnes et des musiques. Hélène arriva juste comme le train de Marseille entrait en gare, elle eut sa part de l’ovation enthousiaste qui accueillit les volontaires. Pour un peu, n’était la pensée des cartouches oubliées par les gens distraits dans les fusils et son paraballe qui la gênait aux entournures, elle se fût laissé gagner par l’enthousiasme.

Ce fut si joli, le défilé des volontaires marseillaises devant la gare et son groupement devant les objectifs de vingt photographes accourus pour le saisir au passage ! La commandante, une femme de tête, correspondante à Marseille de la grande société des citoyennes libres de France, reçut admirablement Hélène, lui parla de Mme Ponto et des services rendus par la banquière à la cause féminine, et la présenta immédiatement au corps d’officières.

« Vous marcherez à côté de moi, dit-elle, au premier rang, sabrebleu !

— Non, dit Hélène, je suis journaliste, je préfère marcher au dernier rang pour mieux embrasser l’ensemble…

— C’est juste, dit la commandante, suivez-nous à l’arrière-garde…