Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/357

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brûlé quinze mille cartouches et des deux côtés savouré des impressions délicieuses.

Un roulement confus produit par des milliers de tambours s’entendait de tous les côtés : c’était la générale qui, de ses notes terribles, appelait aux barricades tous les citoyens de bonne volonté.

Le commandant en chef des troupes régulières fit bivouaquer ses soldats autour de la Madeleine, en tête de la longue ligne des vieux boulevards, coupée par les 182 barricades de l’exposition. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on n’apercevait que pavés soulevés, bastions improvisés, forteresses volantes, créneaux, sacs à terre, tout un pittoresque ensemble de constructions armées de canons, hérissées de fusils et fièrement couronnées de drapeaux battant sous l’air vif du matin.

Pendant que les troupes déjeunaient joyeusement, le général, mâchonnant sa vieille moustache grise, examinait avec une lorgnette son futur champ de bataille.

« Pas mal ! pas mal ! grommela-t-il, ça va chauffer tout à l’heure… Allons, colonel ! sacrebleu, colonel !… six pièces en batterie sur le boulevard et des gargousses blanches d’abord… Je ne veux pas trop les abîmer, ces braves insurgés ! »

Un combat d’artillerie s’engagea sur le boulevard entre la troupe et la première barricade. À sept heures, une sonnerie de clairons avertit les insurgés qu’on allait tirer à gargousse pleine ; quelques acharnés défenseurs de la barricade persistèrent à rester. Ce fut un héroïque et superbe spectacle pour les heureux habitants des maisons voisines. La barricade, récompensée par une médaille d’argent, ne manquait pas de solidité ; une vingtaine d’obus arrivant en plein ne suffirent pas à la démolir et n’ouvrirent que des brèches insignifiantes que les braves insurgés comblaient instantanément avec des sacs de terre. À la fin les deux pièces de canon de la petite forteresse ayant été démontées, le général lança une compagnie d’infanterie à l’assaut. Les insurgés eurent le temps de se replier et ne laissèrent à la barricade qu’un homme contusionné.

Les trois barricades suivantes prirent quatre heures aux troupes. Leur enlèvement eut lieu à peu près comme pour la première, avec le concours de l’artillerie. La cinquième — la barricade-forteresse de M. Sébastien Houzé (médaille d’or) — montra que l’exposant n’avait pas volé sa médaille ! Conçue selon les principes de Vauban améliorés par l’expérience, elle résista vaillamment au canon et repoussa deux assauts de l’infanterie. Les maisons