Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/421

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Toute la famille était sur la dunette du yacht, penchée sur le paysage qui se déroulait au-dessous d’elle ; Philippe, resté à bord de l’aérochalet qui suivait à vingt mètres son remorqueur, rêvait appuyé au balcon de l’avant. Était-il absorbé par la contemplation des pittoresques beautés de la route aérienne de Mancheville ou pensait-il à la belle Mlle Cardonnaz, la fille d’un richissime industriel avec lequel M. Ponto, entre autres affaires, avait combiné un mariage ?

« Quelle magnifique journée ! dit Mme Ponto à son mari ; Mancheville est trop près, nous devrions aller faire un tour en Irlande…

— Nous irons un autre jour, répondit M. Ponto, n’oublions pas que la famille Cardonnaz nous attend à dîner ce soir. »

On aperçut la mer à quatre heures et demie, au delà des plaines normandes, par-dessus les maisons de Mancheville, alignées à perte de vue ; des aéro-yachts couraient des bordées au loin au-dessus des vagues ou s’amusaient à raser le flot en traînant quelques filets ; quelques aérochalets planaient à des hauteurs diverses, isolément ou par groupes. Le tableau était splendide.

Comme on avait le temps, l’Albatros descendit à cinq cents mètres et se mit à louvoyer le long de la côte entre Caen et le Havre, le plus doucement possible, pour donner à ses passagers le temps d’admirer le paysage. Enfin, M. Ponto donna le signal, le patron mit le cap sur les aiguilles d’Étretat, que l’on apercevait à six lieues au nord.

Mancheville, la grande ville de bains normande, est topographiquement la plus étrange ville du globe : elle est toute en longueur et n’a presque pas de largeur. Elle s’étend tout le long de la côte, tantôt descendant sur le sable des plages et tantôt grimpant au sommet des falaises, sur une longueur de cent dix kilomètres et une largeur de quelques centaines de mètres à peine. Elle s’est formée par l’agglomération des villes de bains de la côte, qu’elle a absorbées l’une après l’autre, s’allongeant, s’allongeant toujours, sans jamais s’arrêter. Pour le moment, elle commence au sud à l’ancien Étretat, se continue par les anciennes cités balnéaires de Fécamp, Saint-Valery-en-Caux, Dieppe, pour finir sur les falaises du Tréport. Aucune interruption, aucune solution de continuité entre les villas, les châteaux, les chalets de tout style semés à profusion dans les positions les plus variées, d’Étretat au Tréport ; à certains endroits plus agréables ou d’accès plus facile, les maisons sont plus serrées ou alignées en plusieurs rangées, grimpant les unes au-dessus des autres sur