Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/435

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— Je ne ferai pas de vers, répondit Philippe.

— Un poète… en actions, ce qui est pire ! dit M. Ponto. »

M. l’administrateur de l’Agence universelle, qui était de la noce, fit à la fin du repas un petit speech aux nouveaux époux, speech dans lequel, en homme pratique, il parla surtout des conditions du voyage de noces, des hôtels où il fallait descendre et des prix qu’il fallait payer.

« Si vous voulez attendre huit jours, dit-il, l’agence va pouvoir organiser un grand voyage de noces ; Mancheville nous a été favorable, nous avons vingt-sept mariages conclus, ou sur le point de se conclure ; vous pourrez être une soixantaine de jeunes mariés, voyageant de compagnie, ce qui est très agréable et très économique… un des administrateurs de l’agence vous accompagnera, retiendra les places dans les tubes, les chambres dans les hôtels à des conditions particulières, organisera les excursions dans les montagnes suisses, les promenades sur les lacs italiens, les ascensions, etc., etc.

— Je vous remercie, monsieur l’administrateur, répondit Philippe ; je regrette de ne pouvoir profiter de vos offres gracieuses, mon père nous prête son aéro-yacht ; et, pour notre voyage de noces, nous allons faire notre petit tour du monde… tranquillement, pas en huit jours comme les gens pressés, mais en nous arrêtant partout où l’idée nous en viendra, au sommet des montagnes ou dans les prairies couvertes de fleurs, en Touraine, dans la banlieue de Paris ou dans les plaines chinoises… partout où le voudra ma chère Hélène ! ajouta-t-il tout bas à l’oreille de sa femme. »

À dix heures du soir, par une de ces belles nuits d’août, tièdes et embaumées, l’aéro-yacht de M. Ponto, l’Albatros, illuminé et pavoisé, emportait les deux nouveaux époux dans un ciel d’un bleu sombre, sillonné d’étoiles filantes.

Quelle belle nuit pour un départ en voyage de noces ! La lune se levait à l’horizon ; la mer illuminée, elle aussi, par de larges phosphorescences, battait les roches d’Étretat et frangeait d’écume blanche toutes les découpures de la côte, pointes de roches, longues lignes de falaises et plages de sable jaune, garnies de maisons pointillées de lumières.

C’était féerique ! Hélène et Philippe, accoudés sur le bastingage, restèrent longtemps à contempler ce tableau avant de donner le signal du départ. Quand l’Albatros, dégageant ses amarres, monta doucement dans le ciel, le paysage s’élargit, les falaises normandes se développèrent,