Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/443

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hôtes de passage… tâche ardue et difficile, monsieur ! Je succombe sous le poids de mes énormes occupations. »

Philippe ne put retenir un sourire en considérant l’aimable embonpoint de Son Excellence.

« Je succombe, reprit le ministre, mais je ne maigris pas… et je ne maigris pas, précisément parce que je remplis consciencieusement tous les devoirs de ma charge ! Je suis président du conseil et ministre de l’intérieur ; j’ai dans mes attributions la surveillance de l’école des hautes études culinaires et la présidence de la commission de dégustation gastronomique… Je surveille sérieusement ! Mon collègue le ministre de la roulette et du trente-et-quarante n’a besoin de songer qu’à ses jeux ; le ministre des bals et soirées, le ministre de la guerre, le ministre des fêtes populaires, le ministre de la marine aérienne, ne s’occupent que de leurs spécialités ; mais moi, j’ai à veiller à tout, à penser à tout, à combiner des attractions pour la saison, à inventer des agréments nouveaux…

— C’est beaucoup !

— Il faut que Monaco reste le premier royaume de plaisance du monde… Nous voulons défier toute concurrence et nous allons avoir une concurrence à côté de chez nous, avec le Parc européen de monsieur votre père…

— Comment, dit Philippe, vous craignez notre concurrence ?

— Nous ne la craignons pas, monsieur ; mais enfin nous avons le devoir de nous en préoccuper !… La Chambre monégasque s’en inquiète, monsieur, et si vous avez suivi ses émouvants débats…

— Je ne les ai pas suivis, dit Philippe.

— C’est regrettable, monsieur ! Mes collègues et moi, nous avons dépensé beaucoup d’éloquence… nous avons failli être renversés, monsieur, à cause de la création de monsieur votre père… La Chambre des députés monégasques voit avec inquiétude se créer à côté de chez nous une concurrence qui peut devenir redoutable ! Il y a concurrence et concurrence : tant qu’il ne s’agira que de concurrence simple, nous ne dirons rien ; mais si vous vous lanciez dans une concurrence déloyale, ce serait un casus belli. Je vous prierais de le répéter confidentiellement à monsieur votre père… Il a été question hier, en conseil des ministres, de vous envoyer une note dans ce sens…

— Voyons, Excellence, qu’appelez-vous concurrence déloyale ?

— J’appellerais concurrence déloyale, l’établissement d’une roulette