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Le Vingtième Siècle.

tout de suite à reprendre son somme interrompu. Pendant quelques minutes, les lions savants de la Comédie-Française occupèrent son esprit, la dompteuse, Gustave, le lion de l’Atlas, le pharmacien Colbichard, Molière et le Monsieur de l’orchestre tournoyèrent dans une ronde fantastique, luttant de verve endiablée dans les exercices de férocité qui avaient produit une si vive impression sur le public de la Comédie-Française… puis les lions de l’Atlas, lâchés dans la salle, avalèrent quelques spectatrices et broyèrent le buste en marbre de Corneille… puis Hélène s’endormit pour de bon.

Elle dormait depuis dix minutes à peine, lorsque le sifflement strident qui l’avait déjà réveillée une première fois l’arracha violemment encore du pays des rêves.

Après une demi-minute d’effarement, Hélène retrouva tous ses esprits.

« Encore un compte rendu ! il y avait sans doute deux premières représentations ce soir ; un second Monsieur de l’orchestre va me raconter une deuxième pièce… Eh bien ! je ne l’écouterai pas !… je veux dormir, moi… »

Et, couvrant soigneusement le tuyau téléphonique avec son oreiller, Hélène s’appuya dessus de toutes ses forces, espérant étouffer au passage les nouvelles apportées par l’ennemi de son sommeil ; mais l’horrible sifflement retentissait toujours et bientôt Hélène fut convaincue de l’impossibilité de dormir avec ce bruit désagréable sous l’oreiller.

— Écoutons-le ! dit-elle, ce sera plus vite fini !

Hélène souleva encore une fois son oreiller et rendit la liberté au téléphone. Le sifflement s’arrêta aussitôt.

Ferbana, 11 heures du soir ! dit le téléphone.

« S. M. le roi de Sénégambie vient d’être assassiné. Des bombes à la dynamite et des torpilles électriques ont été lancées sur le palais, comme le roi venait de rentrer avec ses femmes d’une représentation des Huguenots à l’Opéra sénégambien. En ce moment des détonations épouvantables se succédant avec rapidité jettent la terreur dans la ville. Sa Majesté a été tuée par la première bombe. Le palais est en flammes. »

— Ce n’est pas le Monsieur de l’orchestre, dit Hélène. C’est terrible, mais c’est moins long que de la critique théâtrale !

Le téléphone ne disait plus rien. Hélène attendit un instant avant de remettre sa tête sur l’oreiller ; le téléphone restant muet, elle se rendormit d’un sommeil maintenant pénible et agité. Le silence dura une grande demi-heure, puis soudain le sifflement d’appel retentit encore.