Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/495

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dence, la sonde annonçait de très petites profondeurs et le fond de la mer était comme hérissé de pics madréporiques, îlots en formation destinés à paraître au-dessus des vagues dans un laps de temps facile à déterminer.

« Nous entrons dans la période critique de notre voyage, dit le capitaine ; il faut redoubler d’attention. »

Le capitaine conserva le gouvernail, un matelot se mit à l’avant pour sonder, un autre à tribord et un à bâbord. Philippe resta sur le toit de la maison pour surveiller la mer et relier l’avant avec l’arrière.

On reconnut les îles Araktcheef, Narcisse et Moakimon, entourées d’un essaim d’îlots de formation nouvelle ; c’était bien le chemin de Taïti, et en admettant que l’on ne croisât aucun navire en route, on devait en quelques jours arriver à Taïti. Plusieurs fois des pirogues indigènes passèrent non loin de l’îlot. Les passagères montrèrent quelque étonnement de voir les sauvages polynésiens accoutrés de redingotes européennes et coiffés de chapeaux de haute forme.

« Parbleu, dit le capitaine, ils sont tous comme cela ; ils sont à peu près civilisés et ils ont renoncé depuis longtemps à leurs tatouages nationaux ; ils préfèrent nos vieux habits ; toute la défroque de l’Europe et de l’Amérique est envoyée en Océanie et colportée d’île en île… Ça sert de monnaie pour les trafiquants…

— Capitaine, dit Barbe, je ne demande pas à débarquer chez les habitants de ces îlots ; mais ne pourriez-vous pas me dire s’il n’y a pas, dans ces parages, de poste téléphonique ?

— Je n’en connais pas, mademoiselle ; vu le peu d’importance des transactions commerciales, les indigènes n’auraient que faire du téléphone… le premier bureau est à Taïti… »

Philippe, en permanence sur le toit de la maison, promenait des regards songeurs sur le fourmillement de petites îles semées sur l’océan comme une sorte de voie lactée maritime, et il ne s’interrompait dans sa rêverie que pour demander au capitaine, du haut de son observatoire, quelque renseignement sur ces innombrables archipels.

Le capitaine, tout entier à la manœuvre, grommelait parfois.

« Attention, attention, monsieur ! vous ne surveillez pas suffisamment l’horizon, vous me laissez gouverner en plein sur ces brisants que l’on entend mugir à deux kilomètres d’ici… si vous ne me prévenez pas, il nous arrivera quelque anicroche.