Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/34

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canaux, quand avait cessé d’y battre la grande pulsation de la mer.

Ce soir-là, plus que jamais, tandis qu’il cheminait au hasard, le noir souvenir le hanta, émergea de dessous les ponts où pleurent les visages de sources invisibles. Une impression mortuaire émanait des logis clos, des vitres comme des yeux brouillés d’agonie, des pignons décalquant dans l’eau des escaliers de crêpe. Il longea le Quai Vert, le Quai du Miroir, s’éloigna vers le Pont du Moulin, les banlieues tristes bordées de peupliers. Et partout, sur sa tête, l’égouttement froid, les petites notes salées des cloches de paroisse, projetées comme d’un goupillon pour quelque absoute.

Dans cette solitude du soir et de l’automne, où le vent balayait les dernières feuilles, il éprouva plus que jamais le désir d’avoir fini sa vie et l’impatience du tombeau. Il semblait qu’une ombre s’allongeât des tours sur son âme ; qu’un conseil vînt des vieux murs jusqu’à lui ;