Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/193

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Du coup nous comprîmes toute la nature de son génie : les autres font de la poésie de chambre, comme il y a de la musique de chambre. Mistral fait de la poésie de plein air.

Ainsi est Mireille ainsi Nerto, les Isclo d’or le Rhône ; si beaux, qu’ils résistent même a la traduction. Mais quel arôme, quel souffle ils ont, dans ce mâle et harmonieux provençal que Mistral reprit, ennoblit de nouveau jusqu’à l’art ! Langue qu’on dédaignait — comme les hardes des siècles morts, — indignes de vêtir les rêves et les images. Tout au plus fallait-il la laisser au peuple pour ses associations d’idées, brèves ou nulles. Mistral en fit une langue littéraire coordonnée et fixée.

Non seulement par ses poèmes. Il publia, au surplus, le Trésor du Félibrige, un grand ouvrage de linguistique où il s’est montré un philologue admirable, le codificateur sûr de cette langue dont il a retrouvé tous les chemins et les sentiers de traverse jusqu’au bout de l’histoire, jusqu’aux carrefours de forêts où les idiomes se rencontrèrent et se quittèrent.

Mais le provençal, objecte-t-on, est un sentier qui n’aboutit pas, se perdit ; ce fut une langue vaincue. Pourtant « le provençal est une langue