Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/288

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avec son modelé — (de même qu’un écrivain de génie est d’accord avec son rythme, toute belle phrase, tout beau vers, ayant le même rythme que la mer, la forêt, la respiration humaine suspendue à des seins de femme). Ensuite, il a, comme la Nature, une variété infinie. La Nature jamais ne se recommence. Ni non plus l’homme de génie qu’est M. Rodin. Lui également crée depuis la fleur jusqu’à l’élément, c’est-à-dire depuis une petite figure de nymphe, au corps comme une tige, jusqu’à son Balzac aussi tumultueux que la mer… Mais la variété n’est pas suffisante sans la fécondité, autre trait de la Nature, autre signe du génie. Or M. Rodin a produit avec une abondance inlassable et vraiment déconcertante. On se demande comment un seul homme y a pu suffire. Et c’est bien vraiment, et plutôt, une force cosmique qui crée ainsi. Des centaines d’œuvres, déjà produites et célèbres ; et des centaines encore, qui demanderaient à être exécutées en grand, quoique toutes définitives dans leurs proportions réduites. Même les notes de l’artiste, c’est-à-dire d’innombrables figures, esquisses, maquettes, ces notes, qui, d’ordinaire, lorsqu’il s’agit d’autres sculpteurs, sont incomplètes et ne servent que pour eux-mêmes, apparaissent, quant à lui, définitives et réalisées, même pour tous. Ainsi encore fait la Nature, dont les ébauches, même incomplètes, sont parfaites.