Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/293

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attend, lubrique encore. Voilà Un groupe effrayant : la Tentation de saint Antoine le moine est couché tout de son long ; la tête est souveraine, elle regarde la terre. Toute l’importance est dans la partie basse du corps, énorme et qui bombe sous le froc ; par-dessus, une femme, nue et serpentine, se prélasse ainsi que sur une bête vaincue ; et le saint, en effet, est accroupi, comme dans un commencement, déjà, d’animalité. Voici surtout, plus terrible encore, une autre œuvre : le groupe d’un amant acharné à l’amante et qui se traîne après elle, cramponné à ses seins comme à des clous, martyr, en rut de sa croix ! Obstination aveugle ! Supplice d’un couple désapparié, où l’un des deux cessa d’aimer ! Spectacle tragique… Oh ! ces pâles marbres, ces nocturnes bronzes, témoignage de nos passions fixé par le sculpteur, et qui attestent à l’humanité effarée que l’amour, au fond, est tragique et ressemble surtout au malheur.

Il y a loin de ces figures à celles du Baiser. Celle-ci, c’est l’hymen des premiers jours du monde, des aubes où la nature et l’humanité étaient jeunes. Ivresse d’Adam et Ève ! Couple en accord parfait, que tout couple, aujourd’hui, n’est plus qu’une seule minute dans le cours de son amour. Après, viennent les tourments que les amants se créent à eux-mêmes, ou que leur suscitent l’appauvrissement du sang, les nerfs,