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LES JOURS MAUVAIS.


Ô baume du péché ! courtisanes menteuses,
Muses des soirs mauvais, versant des élixirs
Qui sont des entremetteurs d’amour et de désirs
Et du champagne blond aux mousses chuchoteuses.

Douceur des seins s’offrant comme un coussin moelleux
Où reposer sa tête endolorie et pâle
Quand l’ivresse, à travers les vins couleur d’opale,
Fait surgir des lits d’or sous de grands rideaux bleux.

Et vers ces lits profonds, baignés d’odeur légère,
On marche, halluciné par des fantômes nus,
Et l’on va demandé, dans des bras inconnus,
La minute d’oubli d’une mort passagère !

Oh ! dormir ! oublier tout ce qui peut mentir !
Les lèvres et les yeux, amante ou fiancée !
Etouffer les coups d’ailes aux murs de sa pensée
Et clamer peu à peu la douleur de sentir.

C’est comme qui dirait une agonie heureuse !
On divague, on s’endort dans un énervement
Et les choses au loin flottent confusément
Dans l’aube du sommeil fragile et vaporeuse !