Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/117

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Elle chante en criant comme un chat qu’on écorche,
Puis quand elle a fini, le regard en dessous,
Elle tend sa coquille où tombent quelques sous,
Comme un mendiant blême accroupi sous un porche.

Pauvre débris humain ! Spectre ratatiné !
À voir son corps étique et son visage glabre
On dirait qu’elle vient d’une danse macabre,
Poussive et lasse encor d’un sabbat effréné !…

Pourtant les étrangers assis autour des tables
Qui boivent en fumant par ces beaux soirs d’été,
La repoussent parfois avec brutalité
Tant leurs nerfs sont crispés par ses chants lamentables.

Alors elle regagne à pas lents la maison
Dont elle a sous-loué, pour l’été, la mansarde ;
C’est dans un quartier sale où nul ne se hasarde,
Près du port, imprégné d’une odeur de poisson.

Elle songe : « jadis elle était adorée ;
Comme un enfant gâté qu’on comble de joujoux,
Ses amants lui donnaient des robes, des bijoux,
Et jonchaient de bouquets la scène à son entrée !