Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/121

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La mère fait semblant, jugeant qu’on marivaude,
De ne rien voir, lisant un roman de Feuillet ;
Mais parfois elle jette à sa fille qui brode
Un regard de tendresse en tournant un feuillet.

Des blondins de cinq ans, les coudes sur la table,
Dorment, et leurs cheveux leur tombent sur les yeux ;
Mais une jeune fille à l’âme charitable
Les prend sur ses genoux pour qu’ils y dorment mieux.

Moi j’écoute attentif la musique qui passe ;
Un frisson par moments me court par tout le corps,
Et mon rêve s’envole au travers de l’espace
Où comme des oiseaux s’unissent les accords.

Les tentes au dehors grondent comme des voiles,
Et tandis que la lune émerge à l’occident
Et qu’au plafond du ciel rayonnent les étoiles ;
J’évoque dans mon cœur celle que j’aime tant !

Et lorsque par hasard j’aperçois la Grande Ourse
Je rêve que, debout sur ce quadrige en feu,
Dans les champs de la nuit prenant de là ma course
Soudain je vais m’enfuir avec elle vers Dieu !…