Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/90

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Mais il se résignait pourtant à leur caprice
Puisque la mer était la puissante nourrice
Dont le bon lait salé pouvait seul, disait-on,
Rendre un peu de vigueur à ce pauvre avorton.

Oui, mer ! roule-le bien dans tes flots salutaires,
Réchauffe et rajeunis le sang dans les artères
De cet enfant qui garde en ses membres perclus
La pauvreté de sang de ceux qui ne sont plus.
Ô vaste mer ! c’est toi la source de Jouvence
Où doit dans l’avenir se retremper l’enfance,
Car le sel de tes flots est un remède sûr
Pour tous ces délicats aux grands yeux pleins d’azur
Qui regardent le ciel, trop faibles pour la vie !…
Ô mer, répare ou brise au gré de ton envie
Puisqu’il est saint le but qui fait agir tes flots ;
Et, si tu parais dure aux pauvres matelots
Qui, loin de leur famille et loin de leur rivage,
Meurent sur tes écueils pendant les nuits d’orage,
C’est qu’ils vont te servir leurs cadavres hideux,
Pour ces petits enfants chétifs et souffreteux,
Et que, toute à ton plan plus profond que les nôtres,
Tu prends la vie aux uns pour mieux la rendre aux autres !…