Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/105

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Aujourd’hui il s’attarda, arpenta les plates-formes, rêvassa dans la chambre de verre, que les campagnes décoraient de lointaines tapisseries, déambula dans les salles, les dortoirs de cloches. Bonnes cloches fidèles, dociles à l’appel. Il les caressa, les nomma par leur nom. C’étaient des amies, les consolatrices sûres. On leur avait confié sans doute des tristesses, des désenchantements, pires que les siens. Elles furent toujours de bon réconfort, de bon conseil, sachant la vie. Ah ! qu’il était bon de rester près d’elles ! Borluut avait presque oublié le présent ; il était le contemporain des cloches, et le mal dont il avait souffert était arrivé il y a très longtemps, il y a des siècles peut-être…

Mais on ne s’évade jamais tout à fait de soi-même. Après les mirages au fil du songe et du mensonge, la réalité reparaît, et le moindre hasard suffit à la restituer tout entière. C’est le réveil navré, la douleur plus grande — après le sommeil où on avait revu, vivant, le mort de la veille — de retrouver, à l’aube, le cadavre irrémédiable, le lit paré, le buis trempant dans l’eau et les cierges qui brûlent.

Borluut aussi avait abjuré tout souvenir, s’apparaissait victorieux, libre, calme comme les cloches et séculaire, eût-on dit, comme elles, quand, en les visitant et les écoutant, il se retrouva devant la cloche de Luxure, pleine de péchés, et qui, à l’origine, l’excita, l’induisit en pensées de volupté, lui suscita la curiosité et l’amour de Barbe. Cette cloche l’avait