Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un sable si fin, comme filtré dans le sablier des siècles. Quelques-unes étaient vêtues d’une maigre toison d’herbe, d’un pelage vert et débile qui sans cesse tremblote, comme dans la crainte de la tonte. Pourtant Borluut goûta leur mélancolie. Il avait ces yeux du Nord qui aiment à refléter des choses déjà immobiles. Et, surtout, il vit son image en elles : grand tourment apaisé, tumulte du cœur qui s’est résigné à de sévères lignes monotones.

Il prit conseil de ce grand calme, éprouva mieux la vanité de la vie et de lui-même et de ses peines, devant ces dunes bossuées s’alignant comme d’énormes tombeaux, les tombeaux des villes tuées par l’oubli de la mer. Celle-ci, tout à côté, s’illimitait, cette tragique mer, variable de couleurs comme d’humeurs.

Souvent Borluut l’avait présumée, entr’aperçue, du haut du beffroi de Bruges, quand il y rêvassait, après l’heure du carillon. On ne la distinguait pas précisément, à cause de la brume sans cesse tissée dans l’air, cette gaze grise qui flotte et dont les clochers seuls se dévêtent. Pourtant, au déclin du soleil, on la devinait, au loin, à cause de quelque chose qui se mettait à vibrer, à miroiter au bas du ciel…

Maintenant Borluut la voyait, de près. Et jusqu’au bout d’elle-même, eût-on dit, tant la ligne d’horizon allait à l’infini. Elle était nue. Pas un navire. Elle grondait en mélopée, d’un ton glauque, opaque, uni-