Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/155

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but unique, un idéal rare, mais tout à coup il se prenait à en douter.

La mort de Van Hulle lui fut une étape où il s’examina lui-même. Ne s’est-il pas mal orienté ? N’y a-t-il pas un meilleur moyen de bonheur et de bonheur immédiat ? N’est-ce pas un leurre, pour voir, une minute, son rêve réalisé, de renoncer à la vie ? Ainsi la leçon de la mort tournait contre elle-même.

Joris trembla de s’être trompé ; il pensa avec angoisse :

— Tant d’années, déjà, perdues pour le bonheur !

C’était la faute de la tour.

Il avait voulu monter au-dessus de la vie ! Ascensionner dans le rêve !

Or, à la mort de Van Hulle, il connut la certitude, mais aussi l’inanité, des réalisations d’un long rêve ! Peut-être que la vie valait mieux. Il y a des plaisirs plus réels auxquels il ne songea jamais, et qui suffisent à la joie des autres hommes. Van Hulle, comme lui, les avait ignorés et répudiés pour la poursuite d’un but qui n’était qu’en lui-même. La Cause flamande aussi, dont il fut le premier apôtre, apparaissait déjà un beau mensonge. Elle périclitait. Joris prévoyait qu’à son tour il s’y dépenserait en vain. Et quant à son culte pour Bruges, il était inutile comme le culte pour un tombeau.

Vivre ! il fallait vivre ! L’existence est si éphémère ! Certes, c’était le beffroi qui l’avait découragé de la vie et lui donna le goût de la mort. Maintenant, lors-