Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/20

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grand qu’eux, comme devant l’évêque quand il porte, dans la procession, la relique du Saint-Sang.

Joris Borluut ! Et le nom continuait de voler sur la Grande Place, rebondissant, cogné aux façades, lancé aux fenêtres et jusque sur les pignons, répercuté à l’infini, déjà familier à tous comme s’il s’était écrit de lui-même dans l’air nu.

Cependant le vainqueur, arrivé sur le palier de l’escalier gothique, fut complimenté par le gouverneur, les échevins qui, ratifiant l’unanimité populaire, venaient de signer devant lui sa nomination à l’emploi de carillonneur de la ville. Puis ils lui remirent, comme prix de sa victoire et signe de sa charge, une clé ornementée de ferronnerie et de lourdes arabesques en cuivre, une clé solennelle comme une crosse. C’était la clé du beffroi où désormais il aurait le privilège d’entrer à sa guise comme s’il y habitait ou qu’il en fût le maître.

Or, le vainqueur, en recevant ce pittoresque don, pris soudain de la mélancolie qui suit toute fête, se sentit seul et inquiet d’on ne sait quoi. Ce fut comme s’il venait de prendre en main la clé de son tombeau.