Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/245

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La pièce dans laquelle s’était passée la querelle finale resta toute en état : le parquet, jonché de débris ; la glace, fendue de la large blessure qui continua à s’approfondir, à balafrer d’un coup mortel cette pâleur de miroir. Personne n’y avait plus pénétré ; elle demeura close, la porte condamnée et fermée à clé. C’était vraiment la chambre du mort, devant laquelle on frissonne, sans oser y rentrer.

Barbe, d’ailleurs, ne quitta plus ses appartements, s’y fit servir les repas, confinée là, solitaire et farouche, dans une grande prostration. La découverte de la preuve, enfin tenue, sa grande colère, ses excès sauvages, la fuite de Godelieve, partie dès le lendemain, à l’aube, sans la revoir, tout cela avait tordu et emmêlé ses nerfs comme les cordages dans une tempête.

Maintenant, une lassitude infinie remplaça l’exaspération aiguë. Elle n’était plus hérissée et colère. Elle se blottissait dans des coins, frileuse comme une bête malade, le sang refroidi. Elle errait dans l’escalier, dans les corridors, livide, la face ravinée de larmes. Parfois encore, quand elle y rencontrait Joris, par hasard, son irritation revenait une seconde, s’exprimait en quelque mot violent, grossier, jeté après lui comme une pierre. Mais elle n’avait plus la force ; elle ne lançait plus qu’une seule pierre, comme si le soir tombait et que sa vengeance fût trop lasse.

Joris, lui, s’isola de son côté, l’évita, n’éprouvant