Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/264

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muniquait pas avec eux. Même matériellement, il en restait séparé, car, à cause de la fumée accrue, il les distinguait à peine, dans un recul, vagues comme ceux qu’on aperçoit dans le rêve ou dans le fond de la mémoire.

Il se dit vite : « À quoi bon ? » Pourtant il se résigna à poursuivre jusqu’au bout, pour ne pas capituler devant Farazyn, qui triomphait, le regardait d’un visage ironique, haineux aussi. Est-ce qu’il n’arrive pas, dans la vie, qu’on agisse uniquement pour un ennemi, afin de lui tenir tête, de le confondre, de l’humilier par un plus bel effort ou une plus difficile victoire ? Sans lui, on renoncerait peut-être ? Avoir un ennemi est une excitation, une force. On espère vaincre en lui l’Univers et tout le mauvais sort.

Donc Borluut ne parla plus que pour Farazyn. Après avoir montré l’absurdité du projet, il évoqua, par contre, la gloire d’être une ville morte, un musée d’art, tout cela qui était la meilleure destinée de Bruges. Sa renommée, comme telle, s’établissait. Des artistes, des archéologues, des princes commençaient à affluer de partout. Quels justes mépris, et comme on rirait, dans le monde, de la savoir déchue d’un si haut rêve, et qu’elle avait renoncé à être une cité de l’idéal, c’est-à-dire quelque chose d’unique, pour se vouer à cette fréquente et mesquine ambition de devenir un port. Il mit en regard, sans nommer l’auteur, le projet de Bartholomeus, l’emploi plus utile des millions avec lesquels on